Les glacières

La glace a été un produit usité et commercialisé depuis l’Antiquité. Chez les Grecs et les Romains, la glace était utilisée pour rafraîchir les boissons et soigner certaines maladies. À l’époque romaine, on utilisait de la glace ou de la neige fondue pour rafraîchir l’eau des « frigidaria » (bains froids).

Le commerce de la glace a connu un essor considérable entre la seconde moitié du XVIIème siècle et le début du XXème siècle. C’était un produit de luxe que l’on achetait à prix d’or durant les canicules. En attendant la saison de son utilisation, la glace est stockée dans des puits semi-souterrains : ce sont des “puits à glace” ou “glacières”.

Les glacières du château de Chantilly

Le château de Chantilly possèdait quatre glacières, construites pendant le XVIIe siècle .
La grande glacière: située au bord de la forêt, près de la piste dite « des lions », à 200m de l’étang de Sylvie.

  • contenance: 600 000 kg, à 2m au-dessus du sol.
  • diamètre: 9,25 m
  • profondeur: 11 m.

La moyenne glacière: elle était située derrière la fourrière (elle n’existe plus).

  • contenance: 350 000 kg
  • diamètre: 7,25 m
  • profondeur: 8 m

La  glacière de Vineuil : située à Vineuil Saint-Firmin, dans le parc du château.

 

glacière de Sylvie, Chantilly

Entrée de la Petite glacière de Sylvie (collection privée)

La petite glacière de Sylvie: située près de la « maison de Sylvie ».

  • contenance: 50 000 kg
  • diamètre: 3 m
  • profondeur: 7 m.

Jusqu’en 1863, la moyenne glacière et la petite glacière de Sylvie ont été réservées pour les besoins du château, du bâtiment neuf (le château d’Enghien) et pour les malades.

Fonctionnement d’une glacière

La glacière, entièrement maçonnée, se présente comme une excavation cylindrique couverte par un toit ou voûte qui dépasse du sol. Cette toiture de pierre est recouverte d’un monticule de terre. Sur le côté nord, une porte d’entrée suivie d’un petit couloir couvert permet d’accéder au puits. Dans cette partie enfouie est stockée la glace récupérée sur l’étang gelé. La glace fondue est entraînée vers l’extérieur par un petit canal d’évacuation.

La glace est posée sur un lit de fagots à travers lequel l’eau filtre pour se concentrer dans un puisard central d’où elle va se perdre dans le sol.

Sur la quantité de glace, il faut déduire le vide qui se trouve au-dessous du bloc de glace où est le puisard. Chaque jour, la grande glacière perd par coulage 500kg et la petite glacière: 200kg. Les murs épais, la couche de terre sur le toit et les portes volumineuses qui ferment les ouvertures isolent parfaitement l’intérieur de la glacière.

La glace peut y être conservée pendant cinq ans.

fonctionnement d'une glacière

Encyclopædia Universalis

Les puits sont remplis entre décembre et février.

Cette opération doit être effectuée très rapidement, car les conditions atmosphériques peuvent changer. Un froid très sec accompagné d’un vent glacé est l’idéal. Aussitôt que l’abaissement de la température semble annoncer une gelée prochaine, un certain nombre d’ouvriers, sous la surveillance d’inspecteurs, se mettent en devoir de préparer les étangs, autrement dit de les débarrasser de tous les détritus qui peuvent souiller la surface. C’est le moyen d’obtenir une glace bien blanche et privée de toute impureté.

étang de Sylvie, Chantilly

étang de Sylvie, Chantilly

Les étangs préparés, les ouvriers n’ont plus qu’à attendre un bon froid pour se remettre à l’œuvre en cassant la glace.

La première condition pour une bonne récolte est de savoir profiter du bon moment. Comme ils ne craignent qu’une chose, le dégel, dès que les étangs portent une croûte de glace de 3 à 5 cm, ils commencent aussitôt à la briser à coups de pioche, et les morceaux ramassés sur des claies sont jetés à la hâte dans des voitures qui prennent le chemin des glacières.

La glace est déversée aux embouchures des caves. Par ces ouvertures, on remplit et on vide la glacière tour à tour. La grande glacière possède deux embouchures, plus la porte. La petite glacière de Sylvie ne possède qu’une ouverture en plus de la porte, ce qui ne facilite pas le remplissage.
Dès les beaux jours on puise la glace.Les morceaux de glace solidifiés en une masse compacte sont cassés à l’aide d’une pioche par les travailleurs.

Une vingtaine d’ouvriers forment deux équipes. L’une, au fond de la glacière, brise et détache la glace, l’autre, à l’ouverture du puits, la reçoit. Un plancher mobile recouvert de foin de manière à intercepter la chaleur du dehors, s’adapte, au moyen de fortes chaînes, à un treuil, ce qui permet de le faire monter ou descendre avec une charge de glace. Les ouvriers descendent et montent par une échelle en fer scellée au mur. Au long de ces murs couverts de buée, sont fichées de loin en loin des chandelles. Elles éclairent les ouvriers qui, torse nu, avec un pantalon pour tout vêtement et des sabots aux pieds, brisent la glace, empilent des paniers à claire-voie et les portent au fur et à mesure sur le plancher mobile qui doit les monter.
Vingt-quatre paniers de 25 kg environ sont régulièrement disposés sur le plancher. Le treuil mis en mouvement par les ouvriers d’en haut va les hisser en quelques instants. Les glacières occupent les ouvriers sans travail pendant l’hiver.
Cette activité “ôte le prétexte d’aller couper du bois en forêt ou de commettre d’autres délits.” (Note de 28.12.1852 pour M. le Major Mac Call).
Les ouvriers sont payés à la journée.

Le salaire d’un journalier varie de 1.50F à 2.50F (approximativement 3.75 € à 6.3 €; les quatres livres de pain blanc coûtaient  à Paris 0.97F à cette époque ) par jour en 1844.

L’utilisation de la glace

L’utilisation de la glace dans la cuisine est celle qui nous vient à l’esprit en premier et l’histoire de l’art culinaire et de l’art de la table nous montre l’importance des glacières de l’Antiquité jusqu’à l’époque industrielle.

Il y a quelques millénaires, en Orient on buvait des sirops refroidis avec de la neige ou de la glace.

Quatre siècles avant J.-C.  apparaissent les premières glaces aux fruits – il s’agissait alors de mélanges des fruits et du miel laissés refroidir au contact de la glace. L’usage de cet dessert se perpétue en Italie  et selon la légende, Catherine de Médicis (1519-1589) initia son époux le roi Henri II (1533-1559) et toute la Cour de France aux plaisirs de ce rafraîchissement.
En 1668, ouvrit à Paris le premier café où étaient vendues 80 variétés de glace! En 1676, la corporation des limonadiers reçoit officiellement le droit de fabriquer des glaces et à la fin du XIXème siècle, apparaissent les premiers marchands de glaces ambulants et des progrès notables sont faits en matière de conservation.
Au XXème siècle apparaissent les premiers cornets et les bâtonnets.

mosaïque du rafraichissoir

Mosaïque du rafraîchissoir, Musée gallo-romain de Saint-Romain-en-Gal

La glace a toujours servi à refroidir et conserver les aliments et les boissons.

La « Mosaïque du rafraîchissoir » ( fin du IIème siècle après J.-C., Musée gallo-romain de St-Romain-en-Gal / Vienne) montre un rafraîchissoir à bouteilles, ancêtre du seau à champagne.

 

Au XVIIIème siècle, à l’apogée des arts de la table apparaît le meuble rafraîchissoir ayant pour fonction de conserver les boissons au frais. C’est une petite table avec des seaux remplis de glace, que l’on place dans la salle à manger.   Dans le tableau de Jean-François de Troy (1645-1730), « Le déjeuner d’huîtres » (1735), au prémier plan, est figuré un meuble de desserte faisant office de rafraîchissoir à bouteilles.

 

meuble rafraichissoir

Meuble refraîchissoir, détail du tableau « Le déjeuner d’huîtres, par François de Troy (Musée Condé, Chantilly)

pot refraichissoir

Rafraichissoirs (détail du tableau « Le déjeuner au jambon » , par Nicolas Lancret)

Le terme « rafraîchissoir » désigne également un récipient rempli d’eau glacée ou de glace, qui était placé sur la table pour tenir au frais les bouteilles ou pour rafraîchir les verres de vin.

Dans le tableau de Jean-François de Troy, « Le déjeuner d’huîtres » (1735), au prémier plan, est figuré un meuble de desserte faisant rafraîchissoir à bouteilles et dans le tableau « Le déjeuner de jambon » (1735) de Nicolas Lancret deux rafraîchissoirs en porcelaine se trouvent sur la table. Les deux tableaux se trouvent dans les collections d’art du Musée Condé – Château de Chantilly.

 Les sculptures sur glace

Les artistes sculpteurs offrent à la glace le plus inédit des usages: les œuvres d’art éphémères.

Les origines de la sculpture sur glace remontent aux pêcheurs italiens avant le XVIe siècle, qui l’utilisaient pour conserver leurs prises et sculptaient la glace pour passer le temps.

En France, en 1671, François Vatel, alors maître d’hôtel du Prince de Condé au Château de Chantilly, organisa un banquet où les plats de poissons furent présentés sur une « mer de glace ». Cette mise en scène comprenait des sculptures de glace rendant hommage à Hélios, le dieu du Soleil.

Au XVIIIe siècle, la Russie popularisa cet art avec des œuvres grandioses comme le Palais de Glace de Saint-Pétersbourg.

Le XIXe siècle vit son perfectionnement grâce aux artistes chinois, japonais, canadiens et américains.

Aujourd’hui, la sculpture sur glace est un art reconnu et prisé lors d’événements prestigieux.

sculpture sur glace

« La perle mystérieuse » créée par G.Goodwin Jr. and Snark, mars 2006

Utilisation de la glace à Chantilly

À Chantilly, la glace des glacières est fournie principalement :

  • à des particuliers, par example: le prince de Joinville;
  • 1 000 kgde glace ont été vendus, en 1848, à M. Louve, gérant du Buffet de la Gare de Creil;
  • au Café de la Rotonde à Paris;
  • à des malades;
  • à la Société des Glacières réunies en 1853.

En 1874, la glace de la grande glacière du château de Chantilly est vendue 9F le m3 à M. Leserre (demeurant 33 rue de l’Église, Chaville), responsable des Glacières de Chaville et Ville d’Avray, dont le dépôt central est à Paris.
La Compagnie des glacières de Paris débite la glace aux Parisiens à raison d’une douzaine de francs les 100kg. Il faut compter que dans ces 12 francs sont compris les 6 francs d’entrée que la ville perçoit luxueusement sur cet article. Un poste d’octroi a été spécialement créé à Boulogne et Vincennes.
La consommation journalière à Paris, dans les mois chauds de l’année, en juillet et en août, est de 55 000kg environ, dont 45 000kg sortent des glacières étrangères.
Les expéditions se font au moyen de doubles fûts dont le plus petit est doublé avec une épaisse couverture de laine et percé de trous pour laisser passer l’eau.L’espace compris entre ces deux fûts est rempli avec de la sciure de bois.

Les glacières disparaîssent  peu à peu avec l’évolution des transports par voie ferreé et le developpement des techniques industrielles du froid.


En 1862, lors de l’exposition universelle de Londres, l’ingénieur français Ferdinand Carré présente une machine permettant de fabriquer en continu des cubes de glace (200 kg/heure) et quelques années plus tard, Charles Tellier invente la première armoire conservatrice.
Le principe de la surgélation est mis au point en 1929, par l’américain Clarence Birdseye.

Par l’arrêté du 30 décembre 1988, la glacière du parc de Sylvie et la grande glacière du carrefour ces lions, sont entrées dans la liste des monuments historiques.

 

En savoir plus sur la glace et les glacières 

 

2025 Année internationale de la préservation des glaciers

2025 Année internationale de la préservation des glaciers

Les Nations Unies ont déclaré 2025 comme l’Année internationale de la préservation des glaciers, accompagnée de la proclamation du 21 mars de chaque année comme Journée mondiale des glaciers à partir de 2025. C’est une occasion de sensibiliser le monde entier au rôle essentiel des glaciers, de la neige et de la glace dans le système climatique et le cycle hydrologique, ainsi qu’aux impacts économiques, sociaux et environnementaux des changements imminents dans la cryosphère terrestre.

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