Mais qui hante le château de Chantilly ?
Voici la troublante anecdote que raconte Mme de Sévigné dans une de ses lettres, le 13 décembre 1686 :
II arriva une chose extraordinaire, il y a trois semaines, un gentilhomme nommé Verillon, s’approchant du château, vit a une fenêtre du cabinet des armes un fantôme. Son valet, qui était avec lui, lui dit : « Monsieur, je vois ce que vous voyez ». Ils entrèrent dans le château, et prièrent le concierge de leur donner la clef du cabinet des armes. Ils y entrent et trouvent toutes les fenêtres fermées, et un silence qui n’avait pas été trouble, depuis plus de six mois.
On conta cela à M. le Prince, il en fut un peu frappé, puis s’en moqua :
» C’est peut-être la Connétable qui vient voir sa maison ! «
Et « la Connétable » n’est autre que Louise de Budos (1575 – 1598), la seconde épouse du connétable Henri I de Montmorency.
En voici sa légende :

Louise de Budos (1575-1598), jeune veuve de dix-huit ans et sa mère, étaient dans l’entourage de Ia première femme du connétable, Antoinette de la Marck (1542-1591), lorsque celle-ci mourut.
Un jour, se promenant autour du château de Pézenas elles rencontrèrent une pauvre femme tenant un petit enfant, qui leur demanda l’aumône. La mère refusa, mais Louise, touchée par l’enfant, demanda à sa mère de leur donner une petite pièce. La pauvre femme remercie, leur dit que leur aumône ne sera pas perdue. Elle persuade la fille d’accepter une petite bague qu’elle doit faire en sorte de la passer au doigt du connétable et elle sera récompensée pour son bon cœur.
Ce conseil fut suivi, et le connétable épousa le 15 mars 1593, Louise de Budos, de 41 ans sa cadette. Leur mariage fut très heureux. Louise était
« la plus belle et la plus accomplie dame de son siècle ».
Cinq ans après ce mariage, Louise de Budos se trouvait à Chantilly avec sa tante, Laurence de Clermont-Montoison (1571 – 1654) et le comte de Cramail. Lors d’une promenade ils la virent s’approcher d’un inconnu, tout vêtu de noir et parler ensemble assez longtemps. Le lendemain, à dîner, on vint dire à la connétable que cet homme demandait à lui parler. Extrêmement émue elle répondit qu’il était bien pressé, mais sortit de table.

Elle dit à sa tante et au comte de Cramail qu’ils avaient des affaires ensemble et qu’ils pourraient bien n’être pas d’accord et faire du bruit, mais n’importe combien de temps cela put durer et n’importe quel bruit ils entendissent, elle leur demandait de les laisser et leur défendait d’approcher du cabinet où elle s’en allait avec cet homme. Tout cela ne fit qu’augmenter fortement leurs inquiétudes et commença à leur paraître bien étrange. Mais ce fut encore pire quand, après avoir attendu tout le soir, ils se rendirent à la porte du cabinet, d’où ne venait aucun bruit. Ils finirent par enfoncer la porte et y trouvèrent la Connétable seule, morte, par terre, le cou entièrement tourné, le visage vers le dos, sans être pourtant défigurée, et dans le cabinet une forte odeur de soufre.
La tante de la connétable, éperdue, se jeta sur son corps, et sans savoir ce qu’elle faisait mit à son doigt cette bague que le connétable avait rendue à sa femme.
Le désespoir du connétable fut extrême ; mais dès qu’il vit la tante de sa femme, qu’avant il n’avait jamais pu supporter, il lui fit mille amitiés. Et à la grande surprise de tous, il lui fit la proposition de l’épouser.
Ce qui se fit très vite, en 1601.

L’aversion du connétable pour elle, si marquée du vivant de Louise, faisait un grand contraste avec la nouvelle situation. Laurence pensa enfin à cette bague qu’elle avait prise au doigt de sa nièce morte et qu’elle avait depuis gardée au sien. Par scrupule elle consulta le connétable qui se moqua d’elle, mais voyant que cela continuait à la tourmenter, il lui dit qu’elle n’avait qu’à l’enlever.
En se promenant dans les jardins d’Écouen, elle y jeta sa bague.
Cet instant fut le moment du divorce. Le connétable revint à soi comme par enchantement, renvoya sa femme au château de l’Isle Adam, sans jamais la revoir après.
Ce qui s’ajoute, c’est qu’il prit gout aussitôt pour Écouen et le jardin, du côté où la bague était tombée.

Et la légende est née et la tradition crue dans la maison de Condé veut que la Connétable apparaisse dans l’âge où elle était et avec les habits de son temps à la fenêtre du cabinet d’armes du château de Chantilly, peu de temps avant la mort de l’aîné de la maison de Condé.
Ce qu’il y a de très certain, c’est que M. le Prince était à Chantilly, d’où il ne sortait depuis des années que pour de grandes et rares occasions.
Vernillon, son écuyer arrivant à soleil couchant au château, vit à la fenêtre de la salle d’armes ce fantôme que M le Prince nomma « la Connétable ».
Quelques jours après, le Grand Condé, partit à Fontainebleau pour veiller sur la jeune duchesse de Bourbon, fille naturelle de Louis XIV et de Mme de Montespan, devenue l’épouse de son petit-fils, qui était tombée malade de la petite vérole.

La maladie épargna la jeune duchesse, mais emporta Le Grand Condé qui mourut le 11 décembre à Fontainebleau, trois semaines après cet étrange incident. …